La distribution d’images d’abus pédosexuels sur Tor n’est pas inévitable; les créateurs du réseau ont le pouvoir d’agir
Lloyd Richardson, directeur informatique, Centre canadien de protection de l’enfance
Le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE) communique régulièrement avec l’organisme derrière le dark Web au sujet de la distribution massive d’images d’abus pédosexuels sur son réseau.
Pourquoi? Parce que cet organisme a le pouvoir et les moyens nécessaires pour réduire considérablement l’une des formes les plus abominables de violence faite aux enfants.
Tor (The Onion Router) est un logiciel libre qui permet des communications anonymes. Il achemine le trafic Internet sur un réseau mondial de milliers de serveurs – gratuitement et bénévolement. Certains utilisent Tor pour anonymiser leurs activités sur Internet, d’autres pour créer des sites appelés « services onion ».
Les services onion sont l’une des ressources en ligne les plus couramment utilisées pour héberger ou mettre à disposition des images d’abus pédosexuels sur Internet. Les médias regroupent souvent les services onion sous le terme générique de dark Web (aussi appelé Web clandestin ou Web caché).
Les services onion du réseau Tor doivent leur existence à un logiciel développé par le projet Tor, un organisme américain. Le fonctionnement des services onion dépend également des « autorités d’annuaire », un groupe de personnes qui gèrent les serveurs essentiels au fonctionnement du réseau.
Distribution d’images d’abus pédosexuels sur le réseau Tor : Quantifier l’ampleur du problème
Les préjudices causés aux enfants par les services onion du réseau Tor ont fait l’objet d’innombrables reportages, enquêtes policières et études depuis quelques dizaines d’années.
L’exploitation des enfants par la distribution d’images d’abus pédosexuels sur les services onion se fait principalement de deux manières.
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Hébergement d’images d’abus pédosexuels sur des services onion
Un nombre impressionnant de services onion hébergent des images d’abus pédosexuels. Depuis le lancement du Projet Arachnid en 2017, le CCPE a repéré :
- 44 336 services onion individuels hébergeant des images d’abus pédosexuels;
- 2 853 485 photos ou vidéos d’abus pédosexuels hébergées sur des services onion.
Évidemment, ces chiffres correspondent seulement à ce que le CCPE a pu découvrir avec ses ressources limitées. Le nombre total reste inconnu.
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Utilisation de services onion pour donner accès à des images d’abus pédosexuels hébergées clandestinement sur le Web visible
En plus d’offrir un lieu sûr pour héberger des images d’abus pédosexuels, les services onion permettent aussi à des centaines de milliers d’utilisateurs anonymes de participer à des communautés très organisées (souvent appelées « forums ») où ils peuvent partager librement des informations sur l’accès aux images d’abus pédosexuels et les tactiques d’abus pédosexuels.
Les membres de ces communautés publient collectivement des dizaines de milliers d’adresses URL menant à des collections de photos et de vidéos d’abus pédosexuels placées sur des services d’hébergement de fichiers du Web visible.
Sans l’existence de ces communautés sur le réseau Tor, la distribution d’images d’abus pédosexuels à si grande échelle serait impossible.
Depuis le lancement du Projet Arachnid en 2017, le CCPE a repéré en tout et pour tout :
- 29,9 millions de photos et de vidéos d’abus pédosexuels confirmées ou potentielles hébergées sur le Web visible, mais rendues accessibles par des services onion à un moment donné.
Le projet Tor mis au courant des préjudices causés sur son réseau
Le réseau Tor est conçu de telle manière qu’il est pratiquement impossible de découvrir les endroits où se trouvent les images d’abus pédosexuels hébergées sur ses services. Les centrales de signalement et les forces policières du monde entier n’ont d’autre choix que d’adresser leurs signalements directement au projet Tor.
Mais, faute d’une réponse significative de la part du projet Tor, les images d’abus pédosexuels continuent de circuler sans interruption sur son réseau. Cette situation a pour effet de revictimiser les enfants figurant sur ces images et de leur causer des préjudices irréparables. Elle favorise aussi le développement de relations sociales au sein des communautés d’utilisateurs, permettant aux membres d’échanger librement et impunément des images d’abus pédosexuels, des liens vers de telles images, des méthodes pour commettre des abus et des contre-mesures pour échapper à la détection.
Face à l’augmentation constante des préjudices causés aux enfants sur les services onion, le CCPE a adressé en 2024 plusieurs signalements directement au projet Tor et à ses principales têtes dirigeantes. Ces demandes quantifient à la fois le nombre de services onion identifiés comme hébergeant des images d’abus pédosexuels et le nombre de photos et de vidéos hébergées directement sur ces services.
Le tableau qui suit fait état des chiffres que le CCPE a transmis directement au projet Tor. Ces chiffres correspondent à des points dans le temps et reposent sur les données générées par les activités d’exploration de Projet Arachnid. Ces chiffres n’incluent pas les photos et les vidéos hébergées sur le Web visible, mais rendues accessibles par les services onion.
Période visée Nombre de services onion identifiés comme hébergeant des images d’abus pédosexuels Nombre de photos et de vidéos d’abus pédosexuels repérées sur des services onion Du 10 août 2024 au 23 septembre 2024 30 536 885 501 Du 25 juin 2024 au 9 août 2024 17 101 699 292 Du 6 juin 2024 au 24 juin 2024 20 642 695 793 Du 23 mai 2024 au 5 juin 2024 8 234 513 160 Du 6 mai 2024 au 22 mai 2024 8 975 461 503 Du 19 avril 2024 au 5 mai 2024 20 629 538 983 Du 11 avril 2024 au 18 avril 2024 14 126 419 985 Du 3 avril 2024 au 10 avril 2024 20 918 464 263 Du 18 mars 2024 au 3 avril 2024 21 812 757 473 Du 10 mars 2024 au 17 mars 2024 5 240 424 949 L’innovation technologique n’est pas un prétexte à la déresponsabilisation
Le projet Tor a le devoir d’agir face à la gravité des préjudices causés aux enfants par son logiciel et son réseau.
En l’absence de mesures concrètes pour remédier à la situation, le CCPE veut attirer l’attention du public sur ces préjudices et ces violations des droits des enfants dans l’espoir de faire bouger les choses dans ce dossier qui traîne depuis trop longtemps.
Le projet Tor a su agir dans le passé lorsque l’intégrité de son réseau a été menacée. Cela montre qu’il est capable de mobiliser les acteurs de son réseau et de trouver des solutions logicielles. Pourquoi alors ne pas en faire autant pour contrer l’exploitation sexuelle des enfants?
Ce n’est pas d’une question de faisabilité technique; c’est une question de valeurs, de responsabilité morale et d’action concrète.