Passez au contenu principal Passez au menu de la section

Cyberaide.ca a 20 ans – Qu’avons‑nous appris?


Un texte de , directrice générale du Centre canadien de protection de l’enfance

Au lancement de la centrale de signalement, en septembre 2002, nous savions peu de choses sur l’ampleur ou la nature des violences faites aux enfants sur Internet. Nous n’aurions jamais pu imaginer combien, comment et avec quelle rapidité les enfants finiraient par être affectés par des utilisations malveillantes des technologies numériques. Nous n’avions pas prévu non plus l’étendue des préjudices qui résulteraient de l’avènement d’un espace numérique non réglementé où des personnes mal intentionnées peuvent s’en prendre impunément aux enfants.

Cela fait 20 ans que le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE) gère Cyberaide.ca – une centrale nationale de signalement des crimes contre les enfants sur Internet doublée d’une plateforme d’information destinée à améliorer la sécurité des enfants. Il n’y aura jamais de statistiques pour faire état de ce que nous avons appris sur la ligne de front dans nos efforts pour réduire les violences faites aux enfants sur Internet ni illustrer ce que nous savons sur les ravages causés aux enfants et aux familles. Au lieu de centrer notre propos sur des faits et des données, nous allons démontrer comment l’absence de réglementation sur Internet engendre des préjudices nombreux et importants pour les enfants du monde entier.

Ce texte, c’est notre histoire; nos observations sur l’étendue des crimes contre les enfants sur Internet et l’érosion de l’enfance en général, recueillies sur le terrain à coup d’interventions, de constatations et de découvertes. Les enfants paient un prix terrible.

Ce texte appelle les gouvernements à agir immédiatement, car ils ont le pouvoir de mettre en place un solide filet de sécurité autour des enfants dans l’espace numérique et de protéger les plus vulnérables.

Les abus sexuels et les violences contre les enfants atteignent des sommets inégalés

Les grandes avancées technologiques des 20 dernières années ont été réalisées sans aucune considération pour la sécurité des enfants et permettent désormais aux adultes d’avoir accès à des enfants comme jamais auparavant. Cette situation, combinée à l’anonymat des utilisateurs et à l’absence de réglementation sur Internet, place les enfants dans une position très périlleuse et vulnérable.

Nous voyons souvent des enfants d’à peine 6 ou 7 ans, dont le visage est entièrement visible, se livrer sous la contrainte à des actes sexuels sur des plateformes de diffusion vidéo non surveillées et non modérées. À l’insu de ces petits enfants, des délinquants enregistrent le tout pour ensuite diffuser ces images sur le Web clandestin et ailleurs.

De jeunes ados se font manipuler ou conditionner pour partager des images sexuelles ou se livrer à des actes sexuels. Parfois, ces situations dégénèrent rapidement en sextorsion, et parfois, elles entraînent une escalade de tactiques de contrôle et de violence extrême à l’encontre de ces victimes adolescentes, qui peuvent endurer cela pendant des années, aux mains d’un ou de plusieurs abuseurs, et souvent à l’insu de leurs parents. Au cours des 20 dernières années, trop d’enfants se sont suicidés, estimant qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’échapper à la terreur sans fin que leurs cyberprédateurs leur faisaient subir. Le pouvoir silencieux de la honte et de l’humiliation, combiné à l’anonymat, permet aux abuseurs d’exercer un contrôle énorme sur la vie de trop nombreux enfants et adolescents.

L’explosion des images d’abus pédosexuels est incompréhensible. La réponse est mal conçue et nous en constatons les effets. Elle cause des torts irréparables aux enfants et aux adultes qui survivent à ce crime horrible et les condamne à la revictimisation. Les plateformes numériques dont le modèle économique repose sur la monétisation des contenus générés par les utilisateurs sont responsables de la prolifération de ce crime, qu’on a jusqu’ici largement laissé s’accentuer en l’absence de réglementation sur Internet. Sans compter que les demandes de suppression d’images d’abus pédosexuels se butent à des définitions étroites issues du droit pénal, qui ne couvrent pas le spectre des images préjudiciables et violentes en circulation sur Internet. Résultat : beaucoup de ces images restent en ligne au préjudice des enfants qui y figurent.

Les technologies numériques sont devenues des armes contre les enfants

Téléphones intelligents, ordinateurs portables, tablettes, applis de clavardage, outils de recherche, jeux en ligne, médias sociaux : toutes ces « avancées technologiques » ont été développées sans considération particulière pour la sécurité des enfants. Leur utilisation expose les enfants à des contenus sexuels dégradants, les rend accessibles à des adultes inconnus et crée un espace où les enfants peuvent être contraints à des actes explicites qui seront par la suite exposés à la vue de tous. En dehors d’Internet, de tels produits seraient aussitôt retirés des rayons. L’inaction des gouvernements, le manque de considération pour le développement de l’enfant et le non‑encadrement des technologies, produits et services en ligne ont conduit à une déresponsabilisation vis‑à‑vis des préjudices infligés aux enfants.

En dehors d’Internet, les gouvernements imposent des règles, des règlements et des obligations aux entreprises et aux lieux fréquentés par des enfants, mais dans l’espace numérique, rien de tout cela n’existe.

On laisse à tort les parents porter l’entièreté du fardeau et du blâme.

Les parents ne savent plus où donner de la tête pour protéger leurs enfants

Devant leurs enfants qui ne tardent pas à quémander un téléphone intelligent ou un accès aux médias sociaux, les parents se retrouvent dans une situation ingrate. Se tenir à jour face à l’évolution rapide des plateformes, des jeux et des technologies en général leur impose une charge déraisonnable. En 20 ans, nous avons eu affaire à des parents de tous les horizons. Quel que soit le niveau de surveillance et d’encadrement qu’ils exercent, les parents ne pourront jamais préserver leurs enfants de tous les dangers qui les guettent sur Internet. Dans un contexte où les enfants ont toujours un appareil électronique à portée de main, on peut difficilement s’attendre à ce que les parents puissent surveiller tous leurs faits et gestes sur Internet. L’ennui c’est que les espaces préférés des jeunes internautes sont remplis de prédateurs d’enfants très motivés.

C’est un scénario catastrophe, et les parents sont souvent pris au dépourvu en apprenant que leur enfant s’est fait prendre au piège. Et c’est par milliers que des familles en détresse se tournent vers nous en quête de conseils et de soutien pour aider leur enfant. C’est la faute aux entreprises de technologie si les plateformes sont mal conçues, s’il n’y a pas de systèmes de vérification d’âge et si des adultes anonymes peuvent avoir accès à des enfants dans des environnements essentiellement non modérés.

La construction déficiente d’Internet a mobilisé les abuseurs et banalisé des comportements nocifs envers les enfants

À travers notre programme Cyberaide.ca, nous observons – en particulier depuis 7 ans – la montée de réseaux d’adultes ayant des attirances sexuelles problématiques pour les enfants. Les membres de ces communautés virtuelles s’échangent des images illégales, discutent de leurs collections d’images d’abus pédosexuels, s’encouragent mutuellement et partagent des tactiques et des « guides pratiques ». Ils banalisent l’exploitation et les abus sexuels d’enfants et affirment ces distorsions cognitives. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que de nombreux membres de ces communautés, obsédés par certaines victimes, cherchent à les retrouver et vont même jusqu’à les traquer bien après leur passage à la vie adulte.

Nous sommes très préoccupés par le degré d’organisation de ces communautés virtuelles d’abuseurs et par la façon aussi toxique que tordue dont leurs membres échangent entre eux. L’existence d’environnements comme le Web clandestin attise et favorise de tels comportements sans conséquence aucune. C’est inacceptable.

Que faut-il faire maintenant?

Il faut que les gouvernements agissent sans délai, qu’un cadre réglementaire soit mis en place et que les tribunaux soient saisis de ces questions. Ces actions sont cruciales. Les entreprises de technologie ont beaucoup trop de pouvoir; elles s’enrichissent au détriment des enfants. On ne peut continuer de perdre des enfants parce qu’ils ne sont pas en sécurité sur Internet. On ne peut continuer à blâmer les parents quand les enfants peuvent tomber dans les griffes d’un cyberprédateur sans même quitter leur chambre à coucher.

Quand je fais le bilan des 20 dernières années, force m’est de constater combien notre organisation est privilégiée de servir les Canadiens et tout ce que Cyberaide.ca accomplit pour aider les enfants. Je ne peux qu’espérer que nous aurons une autre histoire à raconter dans 20 ans.

-30-

Un mot sur le Centre canadien de protection de l’enfance : Le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE) est un organisme de bienfaisance national qui se consacre à la protection personnelle de tous les enfants. Il veut réduire l’exploitation et les abus sexuels d’enfants et offre à cette fin des programmes, des services et des ressources aux familles, au personnel éducatif, aux organismes de services à l’enfance et aux forces policières du Canada ainsi qu’à d’autres intervenants. Cyberaide.ca — la centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation et d’abus sexuels d’enfants sur Internet — relève aussi du CCPE, de même que Projet Arachnid, une plateforme Web qui détecte les images d’abus pédosexuels connues sur le Web visible et le Web clandestin et qui envoie des demandes de suppression à l’industrie.

Soutenez nos efforts. Faites-nous un don.

Associez-vous à une grande cause. En tant qu’organisme de bienfaisance enregistré, nous faisons appel aux dons pour nous aider à offrir nos services et nos programmes à la population. Aidez-nous à aider les familles et à protéger les enfants.

Faire un don